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:: peut-on faire de l’évidence un critère de vérité ? ::

Peut-on faire de l’évidence un critère de vérité ?

(copie de J.V., Terminale scientifique – 2012)

Selon Descartes, l’évidence est le critère le plus parfait de certitude : ainsi, tout ce qui peut être considéré comme vrai est soit évident, soit déduit à partir d’évidences premières. Descartes ferait donc de l’évidence un critère de vérité, tout comme le ferait l’opinion commune : en effet, lorsqu’une idée s’impose immédiatement à l’esprit, on lui attribue la plupart du temps le statut de vérité. De nos jours, qui douterait par exemple du fait que deux et deux font quatre, ou encore que la Terre est ronde ? Leibniz révoque pourtant ce point de vue : selon lui, l’évidence est un critère trop subjectif de vérité. Ainsi nous demanderons-nous si l’on peut faire de l’évidence un critère de vérité. Le problème que soulève cette question réside en ceci que, contrairement à ce que présuppose le sujet, l’on ne puisse ni totalement considérer l’évidence comme un critère de vérité, ni la priver de ce statut : c’est donc qu’en une certaine mesure cette possibilité peut-être reconnue, sans toutefois que celle-ci vaille absolument, mais seulement de façon relative et conditionnelle. Il se pourrait donc que l’évidence ne soit pas simplement un critère de vérité, mais bien plus fondamentalement un critère ne suffisant pas à distinguer le vrai du faux, et donc un critère ne répondant pas à ce statut. Nous verrons dans un premier moment que l’on peut faire de l’évidence un critère de vérité, si la vérité n’est pas dissimulée et concerne des relations intellectuelles. Toutefois, dans un deuxième moment, nous chercherons à établir que l’on ne peut pas faire de l’évidence un critère de vérité : en ce qui concerne le monde sensible, l’évidence se montre comme un critère trop subjectif. Enfin, dans un troisième et dernier moment, nous tâcherons de montrer que l’évidence plonge le sujet dans une illusion l’empêchant d’atteindre la vérité.

Nous allons chercher à montrer, en ce premier moment, que l’on peut faire de l’évidence un critère de vérité, puisqu’une évidence résulte d’une constatation logique, considérée comme vraie.

L’évidence, c’est ce qui se voit de soi-même, ce qui n’a pas besoin d’être démontré et ce qui ne suggère aucun travail de réflexion. Une évidence est donc le caractère de ce qui s’impose à l’esprit comme une vérité ou une réalité. Il existe toutefois deux types d’évidence : l’évidence sensible et l’évidence intellectuelle (ou rationnelle). L’évidence sensible est fondée sur notre expérience sensible, notre perception (le sensible étant ce qui peut être perçu par les sens). L’évidence intellectuelle apparaît quant à elle à la raison dans une intuition immédiate ou à la suite d’un raisonnement construit et démonstratif : elle entraîne l’adhésion immédiate de l’esprit. L’évidence peut alors être immédiate ou terminale. Une évidence immédiate, c’est ce que l’on est spontanément tenté de tenir pour vrai. Une évidence terminale est en revanche une évidence qui intervient à la fin d’un processus : le doute – qui rappelons-le, est un état d’esprit provenant d’une absence de certitude. Une évidence terminale résiste au doute : on ne peut plus douter car des choses indubitables s’imposent à nous. Un critère est, par définition, ce qui sert à juger : c’est un point de repère auquel on se réfère pour émettre un jugement, classer des notions, distinguer deux territoires… Un critère peut par exemple permettre de reconnaître les valeurs de bien et de mal. Enfin, la vérité, si nous la considérons de manière formelle, peut être définie ainsi : est vrai ce qui n’est pas contradictoire. En effet, tout raisonnement présentant une contradiction est inévitablement faux. Si l’on considère la vérité de manière matérielle, alors on peut dire qu’un énoncé est vrai lorsqu’il est adéquat à la réalité dont il parle, lorsque la représentation de la réalité est conforme à cette réalité. Un critère de vérité est donc un outil qui permet de « reconnaître » la vérité, de distinguer le vrai du faux.

Une évidence est ce qui apparaît immédiatement à l’esprit, lorsque nous sommes face à une proposition, une idée, une question… D’une part, lorsqu’une chose s’impose directement à l’esprit, c’est que le sujet, la question ou la proposition étudiée ne présente aucune contradiction. En effet, si un énoncé contenait une contradiction, il serait nécessairement faux. Lorsqu’une chose s’impose clairement à nous, c’est donc que l’énoncé en lui-même ne présente aucune incohérence, aucune erreur logique. Or, selon la définition formelle de la vérité, ce qui n’est pas contradictoire est considéré comme vrai, et est vrai ce qui relève de la vérité. L’évidence pourra alors être considérée comme un critère de vérité, puisqu’elle pourra déceler la vérité et donc permettre la distinction du vrai et du faux. D’autre part, lorsqu’une chose s’impose immédiatement à l’esprit, c’est que cette chose est adéquate à la réalité dont elle parle. La réalité correspond à tout ce qui est réel, tout ce dont il est possible de faire l’expérience sensible. Lorsque l’on observe une chose, que l’on constate un fait ou que l’on écoute un discours, une évidence peut faire surface, car elle correspond à la réalité : autrement nous ne serions pas tentés de faire un lien entre la réalité et l’évidence qui s’impose à nous. Or, selon la définition matérielle de la vérité, un énoncé est vrai quand il correspond à la vérité dont il parle. De ce point de vue, l’évidence pourra également être considérée comme un critère de vérité. Quand une idée est en concordance avec la réalité, et non confuse ou erronée, elle délivre sa propre évidence.

Une évidence peut donc survenir lorsque nous ne faisons face à aucune contradiction, ni aucune incohérence entre la réalité et l’énoncé correspondant : l’évidence s’impose car elle semble logique et complètement cohérente, et se présente de manière claire et distincte à l’esprit. On ne peut donc pas ne pas adhérer à une idée lorsque celle-ci s’impose à l’esprit comme une évidence. Pour Descartes, l’évidence est par ailleurs le caractère des « idées claires et distinctes », objets d’une intuition (un sentiment non rationnel grâce auquel on est censés « sentir » une vérité ou une réalité) intellectuelle et éléments premiers du savoir. Selon lui, tout ce qui peut être reçu comme vrai est soit évident, soit déduit d’évidences premières. Il considère l’évidence intellectuelle comme critère de vérité, car le « bon sens » reconnaît immédiatement la vérité (on parle de cogito cartésien). Les axiomes nous prouvent également que l’on peut faire de l’évidence un critère de vérité : en effet, les axiomes, qui sont des propositions ni démontrées ni démontrables, sont tenus pour vrais alors qu’ils s’imposent à l’esprit par leur évidence. Euclide définira plusieurs axiomes, comme « Les doubles de choses égales sont égaux », ou encore « Le tout est plus grand que la partie ».

Nous avons démontré dans ce qui précède que l’on pouvait faire de l’évidence un critère de vérité, en ce sens qu’elle permettait de reconnaître la vérité en se basant sur le principe de non-contradiction et sur l’adéquation entre un énoncé et la réalité. De ce fait, on ne peut pas nier la vérité sans tomber dans l’absurdité d’une contradiction. Cependant, comme nous l’avons déjà fait remarquer, il existe deux définitions de la vérité : or la définition formelle de la vérité ne désigne qu’une condition nécessaire de la vérité et non une définition suffisante puisqu’elle dit ce que n’est pas la vérité, et non ce qu’elle est. D’autre part, la définition matérielle de la vérité exprime une condition à la fois nécessaire et suffisante sans pour autant renvoyer à aucun critère universel de la vérité, puisqu’elle présuppose de considérer la réalité indépendamment de la langue. Ces deux définitions de la vérité sont donc insuffisantes : ainsi, faire de l’évidence un critère de vérité en se basant sur ces définitions ne s’avère pas judicieux, puisque ces définitions ne parviennent pas à définir de manière convenable la vérité. Rappelons que le problème que soulève cette question réside en ceci que, contrairement à ce que présuppose le sujet, l’on ne puisse ni totalement considérer l’évidence comme un critère de vérité, ni la priver de ce statut : il se pourrait donc que l’évidence ne soit pas simplement un critère de vérité, mais bien plus fondamentalement un critère ne suffisant pas à distinguer le vrai du faux, et donc un critère ne répondant pas à cette fonction. Comme l’évidence ne suffit pas à distinguer le vrai du faux (du fait de l’insuffisance des définitions de la vérité), on ne peut pas faire de l’évidence un critère de vérité.

Nous allons chercher à montrer, en ce deuxième moment, que l’on ne peut pas faire de l’évidence un critère de vérité, puisque l’évidence peut dissimuler une illusion, un préjugé, une opinion : en effet, les évidences sont parfois trompeuses.

Rappelons qu’une évidence est ce qui s’impose immédiatement à l’esprit, sans qu’il soit nécessaire de la démontrer. Mais une évidence est aussi ce que l’on ne peut mettre en doute. Un critère, comme énoncé précédemment, est ce qui sert à juger : un critère permet de distinguer deux territoires, comme le vrai et le faux, en ce qui concerne notre sujet. La vérité, quant à elle, désigne le caractère des jugements et des propositions qui les expriment, qui permettent de désigner la réalité et de fonder ainsi un accord entre les esprits.

Lorsqu’une évidence s’impose à l’esprit, elle n’est donc pas soumise au doute. Or le doute révèle une véritable remise en question : une personne qui doute est une personne qui prend conscience que ses connaissances sont peut-être erronées et qui n’est plus dans l’état où elle pensait connaître la vérité. Or, lorsqu’une évidence s’impose, nous ne sommes pas tentés de la remettre en question, et ne pas vouloir envisager la possibilité d’une erreur de raisonnement ou de la fausseté d’un propos, c’est ne pas douter. Cependant, nous savons que le doute est un état d’esprit provenant d’une absence de certitude. Par conséquent, l’absence de doute révèle un sentiment de certitude (la certitude est, par définition, l’état d’esprit de celui qui est assuré de détenir la vérité) : quand on ne doute pas, on a l’entière assurance de l’exactitude d’une chose et l’on est convaincu de sa véracité. L’évidence se base donc sur un sentiment de certitude plus que sur une intuition intellectuelle. Or un sentiment n’est pas fiable puisqu’il est relatif aux personnes et renvoie à la perception du monde de chacun : nous percevons la réalité en fonction des capacités que nous avons. Un sentiment est subjectif. Or un sentiment subjectif ne peut constituer un fondement objectif de la vérité : nous ne pouvons donc pas faire de l’évidence un critère de vérité. Nous dirons alors que l’évidence peut parfois être trompeuse : en effet, nous prenons parfois pour des intuitions des impressions sensibles qui sont finalement fausses ou confuses : par conséquent, en faisant de ces impressions sensibles des intuitions, nous attribuons le statut d’évidence à des idées qui ne sont finalement que subjectives. Ainsi, avoir un sentiment de certitude peut nous amener à être « victimes » de l’évidence, puisque celle-ci peut nous amener à nous méprendre : ce qui est évident n’est pas toujours vrai. L’évidence sensible, plus que l’évidence intellectuelle, est trompeuse, puisqu’elle dépend de notre perception du monde, de notre expérience sensible. Pour ce qui est du monde sensible, il n’existe pas véritablement d’évidence puisque chacun perçoit le monde « à sa façon ».

Les paralogismes illustrent de manière convenable cette thèse puisque c’est un raisonnement qui délivre une évidence trompeuse. Le paralogisme est un raisonnement qui semble correct mais qui est en réalité défectueux : contrairement au sophisme, ce raisonnement n’est pas volontairement trompeur, mais commis de bonne foi. Selon Kant, les paralogismes sont des illusions de la raison : tout le raisonnement semble cohérent, concordant, mais il n’en est pas pour autant vrai.

Nous avons démontré dans ce qui précède que l’on ne pouvait faire de l’évidence un critère de vérité, en ce sens qu’elle ne permettait pas de reconnaître la vérité, puisque l’évidence est basée sur un sentiment de certitude et n’est donc pas fiable. Rappelons que le problème que soulève cette question réside en ceci que, contrairement à ce que présuppose le sujet, l’on ne puisse ni totalement considérer l’évidence comme un critère de vérité, ni la priver de ce statut : il se pourrait donc que l’évidence ne soit pas simplement un critère de vérité, mais bien plus fondamentalement un critère ne suffisant pas à distinguer le vrai du faux, et donc un critère ne répondant pas à cette fonction. Nous allons donc maintenant restreindre la réponse au problème, en précisant que l’évidence, certes, ne permet pas de distinguer le vrai du faux, mais entraîne en plus de cela le sujet dans une illusion redoutable : celle du savoir. En effet, un élément pourrait ne pas permettre de distinguer le vrai du faux et pourrait tout aussi bien amener le sujet à penser que, comme il ne sait pas ce qui est vrai et ce qui est faux, aucune conclusion ne peut être tirée : le sujet s’abstiendrait alors d’avoir un avis sur le sujet traité. Or l’évidence est trop relative aux personnes pour représenter un critère de vérité, mais implante en outre dans l’esprit de ces personnes l’idée de certitude, qui les plonge dans une illusion intellectuelle.

Nous allons chercher à montrer, en ce troisième et dernier moment, que l’évidence se présente comme quelque chose ancrant le sujet dans l’illusion d’une connaissance, en plus de son inaptitude à distinguer le vrai du faux : l’évidence obstruerait ainsi complètement la possibilité d’atteindre la vérité, si l’évidence qui s’imposait à nous s’avérait fausse.

L’évidence, comme on l’a affirmé auparavant, est ce qui va de soi, ce qui s’impose directement à l’esprit, mais aussi ce dont on ne peut douter. Or si l’on ne doute pas, on pense quelque chose avec certitude : cette chose peut être vraie comme fausse, seulement le sujet sera dans l’incapacité de juger de la véracité de ce qu’il pense. Penser quelque chose avec certitude alors qu’elle est fausse nous plonge dans l’erreur la plus totale : d’une part, nous pensons détenir la vérité alors que ce n’est qu’une illusion intellectuelle ; d’autre part, nous ne sommes pas tenter de remettre en question ce que l’on sait -donc, de douter- puisque nous le considérons comme une vérité absolue. Ainsi une personne pensant être dans le vrai est-elle vouée à rester dans l’erreur. Lorsqu’une idée, par exemple, s’impose à notre esprit comme une évidence, nous ne la remettons pas en cause et nous sommes certains qu’elle est vérifiée : nous restons alors dans l’illusion intellectuelle d’une connaissance. L’évidence peut donc représenter un obstacle à l’atteinte de la vérité et à la compréhension de la réalité : si une évidence s’impose à nous et que nous l’acceptons telle quelle, nous laissons une chance à l’erreur, car, que cette évidence soit vraie ou fausse, nous avons dans tous les cas la conviction qu’elle est vraie.

Ainsi, lorsque l’on est face à une évidence, nous tenons pour vrai quelque chose qui peut en fait s’avérer faux : nous pensons donc détenir la vérité alors que ce n’est peut-être qu’une simple illusion intellectuelle. Bachelard, dans Le nouvel esprit scientifique, pense que nous avons tellement l’habitude de penser que les choses sont telles que nous les percevons que nous ne parvenons pas à dépasser notre perception pour accéder à la réalité. Il pense que « l’évidence première n’est pas une vérité fondamentale » : selon lui, il faut se méfier du rapport que nous avons avec l’objet que l’on veut connaître. « L’objectivité scientifique n’est possible que si l’on a d’abord rompu avec l’objet immédiat, si l’on a refusé la séduction du premier choix, si l’on a arrêté et contredit les pensées qui naissent de la première observation… » : il faut mettre en question toutes nos impressions immédiates pour s’interroger sur leur véracité, car accepter une évidence sans s’interroger sur ses fondements, c’est risquer de s’enfoncer dans l’erreur et l’illusion du savoir.

Nous avons donc démontré dans un premier moment que l’on pouvait faire de l’évidence un critère de vérité, dans la mesure où cette évidence est intellectuelle : si un énoncé est évident, c’est qu’il ne présente à priori aucune contradiction et est en concordance avec la réalité. Or, dans un deuxième moment, nous avons démontré que l’on ne pouvait faire de l’évidence un critère de vérité, en ce sens que l’évidence se base sur un sentiment de certitude, et ne représente donc pas un critère fiable pour distinguer le vrai du faux. Enfin, dans un troisième et dernier moment, nous avons affirmé que le fait que l’évidence entraînait le sujet dans une illusion intellectuelle s’ajoutait à l’impossibilité de faire de l’évidence un critère de vérité. Cette thèse résout de façon satisfaisante le problème, qui est le suivant : puisque l’on ne peut ni totalement considérer l’évidence comme un critère de vérité, ni la priver de ce statut, il se pourrait que l’évidence ne soit pas simplement un critère de vérité, mais bien plus fondamentalement un critère ne suffisant pas à distinguer le vrai du faux, et donc un critère ne répondant pas à cette fonction. Nous avons donc remarqué que l’absence de doute, face à une évidence, entraînait l’illusion du savoir. Ainsi, douter d’une évidence permettrait d’échapper à cette illusion intellectuelle. Or nous avons vu qu’un certain type d’évidence intervenait à la fin d’un processus de doute : l’évidence terminale. Nous pourrions alors nous demander si l’évidence intellectuelle terminale constitue un critère suffisant de vérité.

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Discussion

2 commentaires pour “:: peut-on faire de l’évidence un critère de vérité ? ::”

  1. Bravo pour cette dissert,

    tout est clair, je pense mieux comprendre ce que l’on attend de nous pour le BAC .

    Merci

    Posté par Alan BIARD | juin 16, 2012, 20 h 07 min
  2. Pour moi cette copie méritai le 20 de part sa clarté et sa cohérence.Une copie exceptionnelle pour une élève exceptionnelle <3

    Posté par Paradeise | juin 17, 2012, 22 h 00 min

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