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cours 2008-09

:: dire, penser, être (introduction) ::

DIRE, PENSER, ÊTRE

 

 

INTRODUCTION

Le retour du lointain

L’oubli de l’être

Le destin du λγος

La reconnaissance de la pluralité des langues — toute langue est particulière —, par contraste avec l’universalité des « états de l’âme », des formes de la pensée, revient à poser l’inadéquation fondamentale du langage par rapport à de telles formes. Or, le véritable enjeu réside en ceci que se trouvent en ce texte d’Aristote réunies les conditions d’un discrédit de la langue au nom de l’exigence de vérité : la vérité étant universelle, aucune langue, en raison de sa particularité et, donc, de son inadéquation essentielle au vrai, ne saurait la dire.

Seule, au contraire, une langue qui serait elle-même universelle et, donc, par nécessité, artificielle, pourrait être adéquate aux formes universelles de la pensée et, partant, propre à dire le vrai.

D’où, d’un côté, les investigations de la logique formelle qu’inaugure précisément L’Organon, recherche des conditions formelles de la vérité, abstraction faite, donc, du contenu des énoncés, conduisant à l’exposition d’une langue épurée de toute particularité — de tout contenu —, syntaxe pasigraphique présumée pleinement adéquate aux formes de la pensée ; d’un autre côté, la référence nostalgique qu’on rencontrera, notamment, dans les Nouveaux Essais sur l’entendement humain, à l’égard d’une langue originaire universelle — mythe biblique d’une langue pré-babélienne.

Le texte d’Aristote auquel nous faisons référence reconnaît par ailleurs une unicité de l’étant : « sont identiques [chez/pour] tous les hommes les choses ». Aussi, à l’universalité des « états de l’âme », des formes de la pensée répond une unicité et une autosubsistance de l’étant, eu égard auxquelles les langues, en raison, toujours, de leur particularité et de leur singularité, seraient inadéquates.

L’enjeu du texte réside en ceci qu’il réunit les conditions d’une compréhension de la vérité comme adéquation du λγος à l’étant. Lorsque nous disons qu’il réunit pareilles conditions, nous n’entendons pas du tout dire qu’Aristote ait déjà pensé la vérité comme une telle adéquation : ce serait commettre un anachronisme que de le penser, cette conception de la vérité n’advenant pleinement qu’avec la scolastique ; mais du moins, donc, en réunit-il les conditions.

Il s’en faudra d’autres interprétations, prolongeant celle d’Aristote, pour que le λγος en vienne à être compris comme rapport, comme adéquation : ce sera le destin métaphysique du λγος qui consistera en la pleine coïncidence du logocentrisme et de la détermination (métaphysique) de l’être de l’étant comme présence.

C’est pourquoi, au § 7-B de Sein und Zeit, Heidegger s’emploie à déconstruire les interprétations métaphysiques du λγος, ayant « recouvert » le sens originaire du terme qu’il s’agit ici de raviver, afin de prendre la mesure des écarts qui nous séparent d’une origine perdue et d’éprouver le poids des impensés sur lesquels se fondent nos conceptions traditionnelles, cadre de nos réflexes intellectuels.

Si λγος sera traduit tardivement par ratio, raison, raisonnement, désignant le « jugement » au sens de la logique, tel n’est pas pour autant, nous dit Heidegger, son sens originaire, ni même le sens en lequel encore l’entendait Aristote. Originairement, le λγος est entendu comme parole épiphanique ou apophantique : il est, selon Aristote lui-même, l’ ποφανεσθαι, le faire voir (quelque chose) en le montrant. Et l’ λθεια du λγος comme ποφανσις réside en ceci que le λγος fait voir ce dont il parle (ce dont il est parlé par lui) comme sans retrait (λθς), en le dévoilant, donc (le terme de « dévoilement » étant la traduction que Heidegger propose du mot grec λθεια, signification originaire qui se perdra dans la traduction latine par veritas).

Ce que cette investigation, cheminant à travers la langue, car nulle autre voie n’est en l’espèce envisageable, parvient à retrouver est donc un sens originaire du λγος. Elle nous permet par là même de prendre la mesure d’un oubli et, simultanément, de sa dimension fondatrice : c’est parce que nous avons perdu la conception grecque originaire du λγος comme ποφανσις, c’est-à-dire comme λθεια, que celui-ci s’est vu déterminé comme ratio, comme jugement, dont on attend qu’il soit vrai, au sens d’une adéquation avec l’étant, lui-même n’étant plus guère conçu comme ce que le λγος fait voir, dévoile, mais comme ce qui est (présent) indépendamment de tout λεγεν, de tout dire. Ainsi se combineront métaphysiquement — sur le mode ontologocentrique — les trois termes de notre série-titre : dire, penser, être.

Nous saisissons de ce fait le rapport intrinsèque caractérisant l’ensemble de notre tradition, rapport par elle décliné sur des modes accessoirement divers, mais toujours maintenu en tant que tel : la métaphysique en tant que destin de l’oubli de l’être est indissolublement liée au logocentrisme. Comme l’écrit Derrida : « le logocentrisme serait donc solidaire de la détermination de l’être de l’étant comme présence » (De la Grammatologie, p. 23).

Le logocentrisme, en effet, en ceci qu’il subordonne tout dire au λγος conçu comme site du vrai, se définit par l’idéal que l’étant soit exposé tel qu’il est présumé en son être (comme présence), et non plus tel que dévoilé par un λεγεν, par un dire. Du même mouvement, le dire cesse d’être entendu comme parole dévoilante et la vérité elle-même comme dévoilement, pour être comprise comme adéquation. C’est pourquoi, ce qu’il est justifié de désigner avec Derrida comme « ontologocentrisme », la métaphysique de la présence et le logocentrisme constituant la double-face du destin de l’oubli de l’être, réduit la pensée à la re-présentation, toute représentation étant de surcroît évaluée à l’aune du vrai-adéquation (et c’est justement à la déconstruction de cette réduction de la pensée à la représentation que procédait le cours de l’année dernière, « De la représentation à l’interprétation », lequel, ce faisant, préparait la voie à celui de cette année).

 

CONSTRUCTION DU PROBLEME :

Dès lors que nous assumons de reconnaître le caractère fondateur pour la tradition qui s’ensuivra de l’oubli de l’être, de la relégation d’une conception originaire de la pensée — celle qui se laisse lointainement entendre à travers la parole de Parménide, par exemple — comme questionnement en direction de l’être, la tâche nous incombe de tenter de comprendre les conception traditionnelles (ontologocentriques, métaphysiques) des rapports entre dire, penser et être, en les référant à leurs impensés fondateurs.

Ainsi, voudrions-nous reprendre une tradition, celle, ontologocentrique, qui, à la fois, procède à la détermination du λγος comme raison et jugement et à celle de l’être (de l’étant) comme présence et qui, du même mouvement, pose l’inadéquation du dire des langues aussi bien au penser qu’à l’être ainsi déterminés.

Or, référée à ses impensés fondateurs, soumise à la pratique d’une déconstruction, il se pourrait que cette tradition et les conceptions qui s’y sont déployées, nous apparaissent comme devant être dépassées.

Il nous faudra alors, au-delà de la métaphysique, de l’ontologocentrisme, repenser les rapports du dire, du penser, et de l’être, dussions-nous être conduits in fine à rejeter l’universalisme métaphysique, pour retrouver la dimension apophantique du dire et reconnaître par là même toute sa positivité au double fait de la pluralité et de l’équivocité des langues. Il se pourrait alors que, conceptions ontologocentriques dépassées, nous soyons conduits à assumer la position d’un certain relativisme linguistique, se fondant sur l’irréductibilité essentielle d’une langue à une autre et, donc, sur l’intraductibilité fondamentale d’une langue dans une autre, et, plus positivement, sur la reconnaissance de la grammaire à titre de système de conditions, aussi bien des modes de la pensée que des interprétations de l’être.

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Discussion

3 commentaires pour “:: dire, penser, être (introduction) ::”

  1. Fidèle à ce que j’aime et en manque de philosophie (malgré des rencontres avec des doctorants parisiens), je passais à nouveau par là… Mais voilà que renaît l’espoir de lire bientôt un peu de vos paroles, un peu de vos pensées, un peu de votre être…
    Quelle bonne surprise, quelle joie !

    Posté par lucia | janvier 28, 2009, 23 h 26 min
  2. Anciennement TL2, la lecture de ces textes me donne envie de reprendre les cours de philosophie, qui étaient passionnants .
    ils nous permettaient de sortir de notre ignorance le temps de 8h par semaine et de surcroît supporter votre passion pour Heidegger^^enfin des cours qui nous ouvraient un petit peu l’esprit :-)
    j’espère que c’est toujours le fun pour vos élèves d’écouter vos “pensées philosophiques”!…ou pas!

    Posté par Marie Albert | février 12, 2009, 17 h 41 min
  3. Alala tout comme Marie, ancienne élève de TL2 c’est avec grd plaisir que je lis ces nouveaux cours..Ce que ça peut me manquer, à ma grande surprise!Les cours de BTS sont si terre à terre..Merci encore pour ces heures d’”élévation intellectuelle” que je regrette tant!
    Bonne continuation!

    Posté par Morineau Lise | avril 20, 2009, 18 h 23 min

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