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:: pour la philosophie ― contre la dilution de son enseignement ! ::

 

 

 

POUR LA PHILOSOPHIE ― CONTRE LA DILUTION DE SON ENSEIGNEMENT !

 

 

 

Le discours prononcé par le ministre Chatel, le 18 novembre dernier au siège de l’UNESCO à Paris, en ouverture de la «  journée mondiale de la philosophie », ne peut que donner lieu aux plus vives inquiétudes quant à l’avenir de l’enseignement de la philosophie et aux conditions d’exercice des professeurs qui en ont la charge.

 

Le ministre, suivant les préconisations du rapport Descoings qui avait, en 2009, couronné la « consultation nationale sur la réforme du lycée », caution « démocratique » d’une réforme déjà conçue dans ses principes et dont il est manifeste que, sur fond du dogme libre-échangiste de « réduction des dépenses publiques », les finalités ne sont au fond que purement comptables, a en effet annoncé qu’il s’agirait de « développer un enseignement de la philosophie avant la classe terminale », soit en classe de 2nde et de 1ère.

 

Les modalités de ce prétendu « développement » se trouvent précisées dans la suite du discours : après avoir souligné que « [les nouveaux programmes] [d’] ECJS […] comportent de nombreuses notions qui peuvent renvoyer directement à un traitement philosophique [et des concepts qui peuvent] être utilement approfondis à partir d’une approche de nature philosophique », le ministre envisage ce « développement » sous trois « angles » :

 

- celui, d’abord, des « enseignements d’exploration de la classe de seconde, [se prêtant] volontiers à l’élaboration d’un projet interdisciplinaire et à un enrichissement par une perspective philosophique » ;

 

- celui, ensuite, de « l’intervention ciblée d’un professeur de philosophie dans les cours d’autres disciplines, en seconde comme en première » ;

 

- celui, enfin, de « l’accompagnement personnalisé, qui se prête facilement à l’organisation d’ateliers de découverte de la philosophie, d’éveil de l’esprit critique, de travail de réflexion consacré à des thèmes plus restreints […] [et à] l’organisation de débats ».

 

Le ministre prétend toutefois que « ce développement de la philosophie en seconde et en première ne se [fera] au détriment ni des programmes, ni des horaires de la classe de terminale ».

 

Qu’acte soit d’ores et déjà pris de cet engagement, mais qui peut croire pour autant qu’il sera effectivement tenu ? Qui peut croire que l’organisation et la mise en place de ces nouvelles formes d’enseignement ne conduiront pas à plus ou moins court terme à l’amputation des horaires disciplinaires de la classe terminale ? Qui peut croire cela alors que, depuis plusieurs années déjà, c’est en nombre insignifiant que sont recrutés de nouveaux professeurs de philosophie (32 postes au CAPES externe et 43 à l’Agrégation, pour la session 2011) et que, par ailleurs, l’effectif de ceux en exercice n’est aucunement excédentaire ? Si les horaires de Terminale devaient demeurer ce qu’ils sont, qui se chargerait alors de ces « interventions » inédites ?

 

D’ailleurs, et cela dément catégoriquement l’engagement du ministre, la réduction des heures allouées à la philosophie en Terminale n’appartient pas à la fiction, puisqu’elle entrera dans les faits dès la rentrée prochaine, par le biais de la suppression du dédoublement dans les classes technologiques et dans les séries scientifiques, lequel permettait de proposer quatre heures de cours en classe entière aux élèves de ces séries… Et, au regard de ce qui se désigne fallacieusement comme un « développement », il y a fort à parier que ce ne soit là que le prélude à des réductions horaires beaucoup plus conséquentes.

 

Selon quelles modalités par ailleurs seraient organisées ces « interventions » en classe de 2nde et de 1ère ? On le sait, la « réforme des lycées », dans le cadre duquel doit advenir ce prétendu « développement », organise la mise à sac du cadre national dans lequel notre système d’instruction publique se définissait et accomplissait jusque-là ses missions de service public : les établissements, désormais institués en « établissements publics à caractère administratif », ce qui leur vaut de dépendre dans leur organisation d’un conseil d’administration, se trouvent dotés par la réforme d’une « autonomie » accrue, non seulement dans leur fonctionnement administratif, mais aussi dans la définition des contenus de l’enseignement qu’ils dispensent. Dans ce cadre, le « conseil pédagogique », non seulement décide des moyens attribués aux dédoublements et organise l’ « accompagnement personnalisé » et les « enseignements exploratoires », mais plus encore prépare, selon les textes, « la partie pédagogique du projet d’établissement »… Autant dire que ces nouvelles tâches qu’il incomberait aux professeurs de philosophie d’accomplir, fût-ce pour l’instant sur la base du volontariat, se trouveraient définies dans leurs contenus et réparties dans leur organisation au seul plan local et provoqueraient de ce fait, tout cadre national, celui des programmes en particulier, se trouvant battu en brèche, d’inévitables disparités entre les établissements : ce sont là les principes fondateurs de l’Ecole de la République, au premier rang desquels celui de l’égalité de tous les élèves devant l’enseignement, qui se trouvent purement et simplement niés ! Comment peut-on dès lors prétendre associer les professeurs de philosophie à un tel renoncement, à une telle régression ?

 

Mais, ce qui ose se présenter comme un « développement » affectera de tout évidence aussi ce qui se pourra effectivement enseigner : la véritable nature de la menace n’est rien de moins que la dilution de l’enseignement de la philosophie au lycée.

 

Le ministre nous parle en effet d’ « approche », d’ « éclairage », d’ « éveil », voire de « débats », tout cela devant prendre place dans le cadre inéluctablement flottant de ces nouveaux « gadgets » appelés « enseignements exploratoires » et « accompagnement personnalisé » ― qu’on observe ce qu’il en est pour les disciplines d’ores et déjà concernées ―, le tout sur fond d’une « interdisciplinarité » incertaine, laquelle non seulement conduira à la révision à la baisse de ce qui sera effectivement enseigné, mais supprimera plus encore les conditions mêmes que requiert un véritable enseignement.

 

L’ « interdisciplinarité », on le sait, a de longue date constitué l’un des principaux signes de ralliement des idéologues de « l’élève au centre », des complices d’une instruction au rabais et de tous les dupes d’une « nécessaire évolution des pratiques d’enseignement ». Ainsi, l’« interdisciplinarité », selon une stratégie éprouvée, trouve-t-elle certainement un écho des plus favorables auprès du puissant lobby pédagogiste et des organisations par le truchement desquelles il sévit, de sorte à ce que, forte de son soutien, une réforme dont la véritable finalité n’est que de réduire les coûts de fonctionnement par la suppression de postes statutaires et l’organisation de la flexibilité des services, puisse entrer en application en ne suscitant d’oppositions qu’à la marge.

 

La fin comptable justifiant, dans la perspective du ministre, les moyens, dussent-ils donc conduire à la dilution de l’enseignement de la philosophie, faudrait-il accepter que cet enseignement perde sa nécessaire unité pour se réduire à terme à une vague caution qui, sous prétexte d’ « éclairage » et d’ « approche », devrait être apportée à de fumeux bavardages sur les sujets médiatiquement à la mode ― le « développement durable », la bioéthique, la « diversité » comme horizon de l’humanité et, pourquoi pas le « tri sélectif » comme exercice de la « citoyenneté » ou le « téléchargement légal » comme « acte éthique »… ? Faut-il accepter qu’au titre d’une « interdisciplinarité », conçue de surcroît à contresens, l’enseignement de la philosophie s’éparpille en interventions ponctuelles, ce qui supprimerait de toute évidence sa possibilité même ? Un tel enseignement suppose en effet le patient déploiement d’un discours et ne saurait, sauf à se diluer au point de n’être plus même possible, se satisfaire de cadres où il devrait se faire ponctuellement éclairant, c’est-à-dire intermittent, parcellaire, émietté et, en définitive, inconsistant. Faut-il se préparer à ce que l’enseignement de la philosophie, dont, jusque-là, la République tenait à faire bénéficier tous les élèves durant la dernière année des études secondaires, se trouve à ce point dilué et perverti qu’il ne consisterait plus qu’en quelques « éclairages » qui n’auraient plus de philosophique que l’habillage rhétorique ?

 

Le fait est qu’on prétend ainsi donner institutionnellement pièce aux pires malentendus concernant la philosophie, en s’employant de surcroît à ce qu’ils rencontrent un écho favorable dans « l’opinion » ― nos bambins de maternelle ne font-ils pas eux aussi de la « philosophie », comme l’a montré un film-documentaire opportunément sorti en salles la veille des déclarations du ministre (!) ?

 

Car le premier malentendu concerne une prétendue disposition précoce à la réflexion philosophique. Or, nous le savons, la plupart des élèves, lorsqu’ils entrent en Terminale, rencontrent au contraire de bien réelles difficultés face à ce qu’exige un enseignement philosophique véritable : s’élever au niveau du concept et séjourner dans l’élément de l’abstraction. Cet accès à la forme supérieure de la pensée qui est l’élément de la philosophie suppose, sans qu’aucun doute ne soit permis à ce sujet, une maturité intellectuelle suffisante, laquelle ne peut que faire défaut à des élèves de 1ère, comme l’aura d’ailleurs éprouvé quiconque aura tenté une « initiation » à ce niveau, et, à plus forte raison, à ceux qui, à peine sortis du collège, entrent en 2nde

 

Le deuxième malentendu réside dans l’illusion, fût-elle assez communément partagée, qui voudrait que l’exercice de la réflexion philosophique s’improvisât ou, en d’autres termes, pût se passer de tout apprentissage et de toute pratique. Nous savons au contraire que cet exercice suppose que soit mise en lumière la spécificité d’un mode de raisonnement, qu’une méthode soit point par point exposée et sans relâche précisée, qu’un discours puisse se déployer sur une durée suffisante pour acquérir une valeur exemplaire en servant de modèle à celui que l’élève aura à son tour à produire. Et c’est, noble et passionnante tâche, à force d’opiniâtres efforts et de patience pédagogique que nous parvenons à conduire nos élèves là où la philosophie l’exige ou, tout du moins, à leur permettre de s’en approcher.

 

Enfin, et c’est là un troisième malentendu que de n’en pas prendre la mesure, l’enseignement de la philosophie, sauf à se perdre et se renier, n’a aucunement lieu de se diluer dans une vague interdisciplinarité, pour la très essentielle raison que la philosophie, du fait de son rapport réflexif aussi bien à l’ensemble des savoirs qu’à elle-même, inclut en soi-même l’interdisciplinarité. Et telle est par ailleurs l’indiscutable justification de ce que son enseignement ne puisse et ne doive prendre place qu’au terme des études secondaires ― au moment  où,  après avoir de longues années durant pratiqué différentes disciplines, il devient nécessaire qu’arrivés en classe terminale les élèves soient conduits à interroger réflexivement ces savoirs et le sens de leur pratique.

 

Que soient rappelés, en guise de conclusion, les mots d’un autre ministre, Anatole de Monzie, dont les célèbres instructions aux professeurs de philosophie ont longtemps inspiré l’enseignement et largement contribué à son excellence : « Un des traits les plus importants qui caractérisent l’enseignement secondaire français est l’établissement, au terme des études, d’un enseignement philosophique élémentaire, mais ample et distinct. […] Nous n’avons pas […] à justifier cette institution : elle n’est plus discutée aujourd’hui et n’a jamais été battue en brèche que par des gouvernements hostiles à toute conception libérale. [Cet enseignement] permet aux jeunes gens de mieux saisir, par cet effort intellectuel d’un genre nouveau, la portée et la valeur des études mêmes, scientifiques et littéraires, qui les ont occupés jusque là, et d’en opérer en quelque sorte la synthèse ».

 

 

 

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Discussion

Un commentaire pour “:: pour la philosophie ― contre la dilution de son enseignement ! ::”

  1. Je viens de signer la pétition publique ; problème : pas beaucoup de signatures pour l’instant ! N’hésitez pas à m’envoyer toute info pour cette campagne en cours.

    Amicalement.

    Posté par ROCHE Luc | février 16, 2011, 0 h 12 min

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